jeudi 29 janvier 2009

Sur L'Action et le défense de l'Université

Chères étudiantes, chers étudiants,

Depuis l’affichage de l’envoi des notes à la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, j’entends – et mes collègues également – monter une forme d’étonnement, d’inquiétude, voire d’exaspération parmi vous ! Le syndicat UNI (habituel cache-sexe universitaire de l’UMP) a même distribué un tract pour tenter de vous convaincre de l’absurdité de notre action… Je vais donc tenter de vous démontrer en quoi cette action n’est non seulement pas absurde mais qu’elle au contraire parfaitement légitime et légale.

D’abord, notre action est tout à fait légale.
En effet, la décision de renvoi des jurys d’examen comme celle d’envoi des notes à Mme Pécresse ont été décidées par le Conseil de Département de Droit, repris par d’autres conseils et probablement votée vendredi prochain par le Conseil d’UFR des Affaires internationales et d’autres encore. Il s’agit de nos instances représentatives, y compris les vôtres puisque vous y avez des délégués.
De même, si la grève est votée, je rappelle qu’elle est un droit constitutionnel ; il appartiendrait à chaque enseignant et personnel administratif de faire grève ou non. Donc toute action de perturbation induite par la cessation concertée du travail serait légale.

Ensuite, notre action est tout à fait légitime.
En effet, depuis plusieurs années (processus de Bologne, LMD…), mais singulièrement avec l’entrée en vigueur de la LRU et les « réformes » actuelles, nous assistons à une lente descente de l’université publique française vers la marchandisation : on ne pense plus « pédagogie » mais « crédits ECTS » ; on ne pense plus « transmission du savoir » mais « acquisition de diplôme » ; on ne pense plus « esprit critique » mais « insertion professionnelle ». Sans parler de la bureaucratisation rampante qui fera bientôt passer le Gosplan et le plan quinquennal soviétiques pour une aimable plaisanterie ! Bref, une université radicalement nouvelle apparaît, centrée sur l’utilitarisme, placée dans une concurrence exacerbée entre formations supérieures mais sans les moyens de lutter car l’Etat se désengage financièrement et qu’il n’est pas question d’augmenter les frais d’inscription et de pénaliser l’accès de toutes et tous à l’enseignement supérieur public.
Je ne dis pas qu’il faut conserver le système universitaire en l’état, ni que la professionnalisation est inutile . Je dis seulement que la pente actuelle est dangereuse parce qu’elle ne permettra pas aux étudiants de réussir. Prenons un exemple : le taux d’échec en 1re année. Le gouvernement dit que c’est inacceptable ; nous sommes d’accord. Mais quels moyens a-t-on pour y remédier ? Très peu en réalité : impossible de créer une « propédeutique » pour que les étudiants fassent leurs « humanités » ; impossible de mettre en place des systèmes d’acquisition des connaissances et de la méthodologie par petits groupes car, tout simplement nous n’avons ni les moyens humains ni les moyens financiers d’actions que nous avons pourtant débattues par exemple en Conseil de Département de Droit l’année passée.
La réalité est donc le « service minimum »… et le « double discours » : d’un côté, la proclamation de « l’excellence », de l’autre la baisse des moyens d’enseigner ! (et la même logique se décline dans tous les services publics…). A terme, en poursuivant dans cette voie, l’enseignement et l’éducation publiques seront profondément affaiblis, en contradiction totale avec la logique républicaine qui s’est construite notamment depuis la Révolution française.

La question est donc politique : étudiantes, étudiants, que voulez-vous ? Voulez-vous une université qui vous ouvre au monde, qui vous fasse réfléchir tout en vous apportant les connaissances indispensables à votre insertion dans le monde professionnel ? Ou bien voulez-vous un sous-enseignement, coupé de la recherche scientifique, destiné à faire de vous une main d’œuvre d’autant plus malléable qu’elle n’aura pas été habituée à réfléchir ? En conséquence, faut-il vous arrêter au constat de votre problème immédiat (l’impossibilité d’avoir vos notes) ou bien penser l’action actuelle dans une réflexion d’ensemble ? Pensez-vous d’ailleurs sérieusement que des enseignants-chercheurs dont la vocation est de vous servir puissent songer à vous nuire ??
Aussi je conclus sur l’argument selon lequel vous seriez « pris en otage »… Je pense qu’il faut justement être sérieux et que manier sans précaution cette expression est une insulte à celles et ceux qui ont été véritablement soumis à la menace de mort par prise d’otage : les résistants et les civils pendant la 2nde Guerre mondiale, Florence Aubenas ou Ingrid Bétancourt plus récemment. Vous n’êtes justement pas des otages ; bien au contraire ! vous êtes – tout comme nous sommes – les acteurs de la défense et de la promotion de l’université française en général et de l’université du Havre en particulier !

Spéciale dédicace pour les juristes… vous remarquerez que même sur ce blog la pédagogie continue puisque je n’ai pas sacrifiée à la sacro-sainte méthode du plan en deux parties…

Nicolas Guillet
Maître de conférences en droit public

5 commentaires:

Anonyme a dit…

Merci pour la précision de ce texte, qui permet de montrer la perspective large dans laquelle s'inscrit notre combat pour une université digne d'un véritable service public !

Anonyme a dit…

En espèrant que cet article sage et pertinent sera entendu des étudiants (et professeurs malheureusement...)qui ne voient pas plus loin que le bout de leur nez... Merci Mr Guillet. Sachez qu'en dehors de ces personnes de nombreux étudiants partagent votre point de vue, et sont prêts à se mobiliser aux côtés des professeurs pour défendre l'Université.

Anonyme a dit…

Merci infiniment pour cet article. Je suis frappée par l'égoisme de certains étudiants (les juristes en particuliers – on comprend mieux l’état de la justice). Pensez un peu aux autres pardi !!! Que deviendra le service public de l'éducation... cette école de la république dont la France doit être fière. Je viens d'un pays (le Surinam) où le droit de grève était bafoué (encore faut il qu'il ait droit de grève)... Lorsque les étudiants se sont enfin révoltés... c'était trop tard !! Le slogan n'était pas sauvez l'éducation... il n'y avait plus rien à espérer... le slogan était "pas de pain, pas d'école". Tous ça pour vous dire que vous avez les moyens qui permettront de sauver l'éducation nationale et de permettre à tous d'accéder à un niveau égal _"l'excellence"_... utilisez-les !!! Mobilisez-vous et n'acceptez pas l'alignement par le bas...exigez l'excellence !!

Anonyme a dit…

A l'instar de Victor Hugo, force est de constater que ceux qui vivent sont ceux qui luttent... et le contexte actuel illustre plus que jamais le sens de cette phrase.

Lutter, s'opposer à cette volonté gouvernementale toujours plus poussée de rendre le service public productif, a un sens. Cette démarche de nos gouvernants s'inscrit dans une logique concurrentielle ne semblant pas s'accorder avec une mission de transmission du savoir. Pourtant on assiste effectivement à cette destructuration pressante, réalisée en bonne et due forme.
Voilà pourquoi sur ce point, au moins je m'accorde sur vos idées, énoncées dans cet article.

Doit-on craindre, à terme, la perte de l'excellence Universitaire Française, pire une volonté gouvernementale de nous écoeurer, nous, citoyens, des services publics?

Désabusés par cette permanente condescendance enveloppée dans une fausse sollicitude, il nous faut néanmoins rester conscients et porter haut nos idées, au risque de quelques désagréments, car les idées n'ont pas de prix.
Ne tombons pas dans un « Don Quichottisme » absurde, mais pour autant, l'idée de suivre des cours sur le parvis de l'Hôtel de Ville semble intéressante.

Alors, « ensemble tout devient possible » ? Oui bien-sûr, mais sans les pauvres, sans les enseignants, sans les étudiants, sans les marginaux, sans les étrangers,... bref sans tous les opposants au rouleau compresseur de la « flex-sécurité » à la française.
Quand je pense qu'on riait de St Augustin quand il disait que les hommes sont tombés en eux-mêmes. . .

Anonyme a dit…

bonsoir
il serait intéressant de communiquer ce qui se passe au havre sur le site de SLU. le havre 'apparait guere dans les récits et cartographie des mobilisations. cf le lien suivant
http://www.sauvonsluniversite.com/spip.php?article1470

bien cordialement
anne le huérou
ATER ILCO

Enregistrer un commentaire