Intervention d'Estelle GRELIER en débat général au nom des élus régionaux de la majorité
Séance plénière du 16 mars 2009 -
Monsieur le Président, chers collègues,
Le service public de l'éducation est en souffrance et les élus socialistes ont, toujours, dans cet hémicycle, dénoncé la vision comptable qui, depuis 2002, conduit à la dégradation des conditions d'enseignement. Quand, en parallèle, par conviction et avec détermination, sous votre impulsion, Monsieur le Président, la Région investit massivement, et bien au-delà de ses compétences, dans les lycées et les universités, pour assurer un avenir professionnel et un épanouissement citoyen aux jeunes haut-normands. J'évoquerai aujourd'hui, deux réformes qui ébranlent les fondements de l'enseignement supérieur : l'application de la loi sur les “libertés et responsabilités des universités” dite loi LRU et la refonte de la formation des maîtres.
A peine arrivé à l'Elysée, le Président de la République s'est empressé de vouloir accorder aux universités, l'autonomie dont elles avaient, soi-disant, besoin pour mieux fonctionner et répondre aux exigences du pays en matière de formation et de recherche. Cette réforme, promettait-il, serait la plus importante du quinquennat, bien que jamais évoquée lors de la campagne présidentielle. Menée tambour battant avec un simulacre de concertation et de débat à l'Assemblée Nationale, la LRU sera votée, dans la chaleur de l'été, en août 2007.
18 mois plus tard, qu'en est-il?
Tous les clignotants sont au rouge. Les universités sont paralysées depuis 6 semaines car leurs personnels, de toutes disciplines, de droite comme de gauche, ainsi que les étudiants, se mobilisent massivement pour s'opposer aux réformes en cours : d'une part, celles induites par la LRU à savoir le projet de décret réformant le statut des enseignants chercheurs, la baisse des moyens humains et financiers alloués aux universités et le démantèlement de leurs laboratoires et des organismes de recherche ; d'autre part, la réforme de la formation des futurs enseignants du premier et second degré. Et ils le font savoir dans la rue, de plus en plus nombreux. En effet, et malgré les efforts de communication ou plutôt de désinformation du Gouvernement, la mobilisation non seulement ne faiblit pas, comme on tente de nous le faire accroire, mais se développe et se radicalise.
Comment en sommes-nous arrivés là, alors que la nécessité de faire évoluer l'Université est un sentiment largement partagé par ses personnels ? La Droite tente de prendre à témoin l'opinion publique pour accréditer l'idée d'un corporatisme de fonctionnaires “réactionnaires” (je cite dans le texte) prisonniers de leurs avantages, et rejetant de manière systématique toute évolution de l'institution universitaire. C'est, notons-le, l'explication gouvernementale et/ou présidentielle à chaque fois que surgit un conflit, ou que s'exprime l'inquiétude ou l'exigence de mieux-vivre d'une catégorie de la population. Ces assertions ne tiennent pas la route.
Si la situation est à ce point bloquée, c'est parce que la loi LRU se met progressivement en place et que le fossé se creuse chaque jour davantage entre les promesses suggérées dans la loi et par le Gouvernement, et qui en ont aveuglé certains, entre ces promesses donc et la rédaction aujourd'hui des décrets d'application ! Ainsi, leur écriture n'est dictée que par un objectif, idéologique, celui de la mise en concurrence des individus, des formations, des diplômes et des universités ; en clair, l'assimilation de l'université à l'entreprise et la marchandisation de la connaissance.
Le Gouvernement s'emploie méticuleusement à ce qu'aucun secteur ne soit préservé de la libre et totale concurrence, modèle dont on peut quand même admettre, sans choquer, qu'il est aujourd'hui en crise et qu'il a atteint ses limites ! Appliquer, à l'université, ce credo libéral revient, notamment, à briser l'indépendance des professeurs et des maîtres de conférence. Et traduit le profond mépris du Gouvernement et du Président pour le travail intellectuel indépendant, pourtant source d'émancipation, de progrès social, de performance économique et de développement citoyen.
J'ajoute que la réforme du système universitaire, appliquée en l'état, bénéficiera à quelques grands pôles et se fera au détriment de l'aménagement du territoire et donc de l'accès au plus grand nombre à l'ensemble des formations et des niveaux de formations de l'enseignement supérieur. En effet, dans cette configuration, les universités haut-normandes ne seraient plus que des collèges universitaires, se limitant à assurer une formation jusqu'au niveau de la licence, qui ne permettra pas d'être couplée avec une recherche soutenue.
Déjà, certaines universités sont devenues autonomes au 20 janvier 2009. A la rentrée 2008, juste avant la date limite réglementaire, parfois la veille au soir par e-mail, elles sont informées du montant de leur budget, qui a été globalisé sans que la méthode de calcul ne leur soit indiquée. Elles peinent à en comprendre les détails, renâclent... mais finissent par les voter. La Ministre claironne partout que les budgets ont été augmentés. Mensonge !
Dans la plupart des cas, les crédits de mise en sécurité des sites, auparavant dissociés, ont été incorporés et les milliards promis - exactement 1 milliard de plus par an pendant 5 ans -, par le Premier Ministre dans le protocole qu'il a signé avec la conférence des Présidents d'université le 29 novembre 2007 sont, manifestement, des milliards virtuels. Ces milliards - de régulations budgétaires en crédits d'impôts aux entreprises, en inflation et en tour de passe-passe - ne sont toujours pas arrivés aux universités. Le plus cynique, c'est que le nouveau logiciel d'allocation des ressources a été dénommé “SYMPA” - ça ne s'invente pas ! -, tellement sympathique qu'il conclut à une sur-dotation des universités du Havre et de Rouen, à hauteur de 116 postes pour la première et environ 300, pour la seconde, à terme. En 2009, la suppression de postes est effective, puisque la publication des postes vient de tomber et s'en ressent significativement. Il est aujourd'hui annoncé un gel des suppressions pour 2010 et 2011. Comment apporter un quelconque crédit à cet engagement, alors qu'il y a moins d'un an, la Ministre annonçait la création de 1500 postes, 1500 qui, au bout du compte, vont se solder par 1000 suppressions ?
Toutefois, il faut le reconnaître, début janvier 2009, la communauté universitaire est encore partagée sur la réforme. Et le 22 janvier, tout bascule, le rejet est unanime. Que s'est-il passé?
Ce jour là, le Président de la République réunit à l'Elysée l'excellence de la recherche et de l'université française pour lui présenter ses vœux. Dans son discours, avec la syntaxe approximative qui le caractérise, et à propos de l'évaluation de l'activité de recherche, il déclare textuellement (je peux vous donner le lien sur daily motion…) : “Ecoutez, c'est consternant, mais ce sera la première fois qu'une telle évaluation sera conduite dans nos universités, la première. Franchement, on est un grand pays moderne, c'est la première fois” puis de continuer “c'est un système assez génial d'ailleurs, celui qui agit est [aujourd'hui] en même temps celui qui s'évalue. Je pense que ça peut être confortable” pour poursuivre “et pardon, je ne veux pas être désagréable, à budget comparable, un chercheur français publie de 30% à 50% en moins qu'un chercheur britannique. Evidemment, si l'on ne veut pas entendre cela, je vous remercie d'être venus, il y a de la lumière, c'est chauffé !” Il semble que cette plaisanterie n'ait fait rire personne, sauf lui, puisqu'il a dû la répéter !
Mes chers collègues, je vous le dis, ces affirmations sont mensongères, scandaleuses et insultantes. Alors qu'un polytechnicien ou un énarque est intégré dans son corps sur la base de son rang de sortie, le recrutement, souvent tardif, d'un universitaire, est toujours l'occasion d'une rude compétition et l'évaluation de l'ensemble de ses travaux est fouillée. Ensuite chacune des étapes de sa carrière, se fait (ou pas) sur la base de l'évaluation de chacune de ses activités, mais surtout de sa recherche, par ses pairs, issus de divers établissements. Il en est de même pour l'attribution de ses crédits de recherches. Ses publications sont soumises à des comités de lecture souverains, internationaux, qui retiennent ou non le texte proposé, d'ailleurs toujours de manière anonyme.
En outre, j'ajoute qu'en termes de performances, les universités et organismes de recherche français se placent en excellente position. Avec des conditions de travail qui se dégradent fortement et des crédits drastiquement limités depuis 2002 (contrairement à ce qu'affirme le Président, il y a bien, en la matière, une politique de Gauche qui valorise la recherche et une politique de Droite qui la contraint et la perçoit comme une charge), le CNRS se situe au 1er rang européen et au 4ème rang mondial ; les publications des chercheurs français au 5ème rang mondial, les universités françaises au 6ème du fameux classement de Shanghai, alors qu'elles bénéficient de moyens réduits en comparaison de ceux de leurs concurrents. Rappelons que la recherche académique ne représente que 0,38% du PIB, ce qui la place au 18ème rang mondial.
Que ces évaluations puissent être amendées, perfectionnées, la communauté universitaire est prête à en discuter ; elle a d'ailleurs, en la matière, soumis des propositions lors des derniers états généraux de la recherche en 2004 mais pourquoi alors affirmer de telles contre-vérités, qui s'appuient sur des éléments partiels et des erreurs ? Le plaisir d'un bon mot, le ressentiment d'un ancien étudiant face à ses maîtres, l'erreur ou la malveillance d'un scribe. Je pense qu'il ne s'agit rien de tout cela, mais tout simplement d'une illustration de la méthode Sarkozy.
Dans ce cas, il présente sa réforme comme légitime face à des universitaires paresseux et médiocres et fort de sa provocation, il les désigne comme coupables. Rappelez-vous, il procède toujours ainsi : les instituteurs sont coupables, les Rmistes sont coupables, les chefs militaires, les juges, les fonctionnaires, les cheminots, les jeunes à la recherche d'un emploi, les jeunes issus de l'immigration sont coupables, etc. Les ayant désignés à la vindicte, il promet alors de tout changer, de tout arranger, souvenez-vous Gandrange, Sandouville et ses promesses, le chômage des jeunes, des seniors, l'insécurité dans les quartiers, etc.
J'évoquerai maintenant la réforme de la formation des maîtres et pour cela je vais employer une méthode assez inhabituelle dans notre assemblée. Je vais vous poser une petite devinette. Quel est le métier qui, selon le ministre de l'éducation nationale, demande une formation académique théorique de haut niveau et pratiquement aucune formation pratique, je vous aide, sauf à savoir changer les couches ? Pas facile de répondre sans ce dernier éclaircissement, tant on a vanté les mérites de l'apprentissage, du plombier au médecin, des stages longs en entreprise pour les futurs ingénieurs et d'une manière générale pour tous les métiers.
Vous l'avez compris, il s'agit du métier d'enseignant. Cette affirmation peut vous paraître choquante mais c'est le postulat de la réforme Darcos, puisqu'à l'issue de masters (bac +5), forcément spécialisés, préparés à l'université dans lesquels, pour certains d'entre eux, il pourra y avoir un petit stage en classe, d'observation ou de pratique, peut être les deux, mais dans tous les cas très insuffisant, les titulaires d'un master pourront se présenter au concours de recrutement au métier d'enseignant. Dans l'état actuel du projet, les lauréats du concours se verront confiés, dès la rentrée suivante, des classes en complète responsabilité. Ceci sans formation professionnelle. Il semble, cependant, qu'ils puissent bénéficier la première année des conseils d'un ancien.
Dans le système actuel en IUFM, la première année, les titulaires d'une licence préparent le concours puis la deuxième année, les lauréats de ce concours, fonctionnaires stagiaires, reçoivent une formation professionnelle et assurent de 4 à 6 heures d'enseignement dans un établissement, face à des élèves, en bénéficiant d'un soutien pédagogique important et diversifié.
Cette formation professionnelle, par alternance, parfois jugée insuffisante dans sa durée, tant le métier devient difficile et complexe va disparaître et ne sera pas remplacée. De plus, un étudiant titulaire du master enseignement pourra se voir recaler aux concours de l'enseignement primaire et secondaire, contrairement à aujourd'hui où les débouchés sont assurés pour les élèves de l'IUFM. Quel avenir alors pour ces titulaires de master mais sans concours si ce n'est la constitution d'un corps de précaires de l'éducation nationale, une forme d'armée de réserve ?
Pourquoi ces choix? Peut-être le Ministre pense t'il qu'enseigner est une vocation et que la grâce fait le reste, peut être pense t'il que c'est un art qui ne peut s'enseigner, et qu'aucune expérience ne peut se transmettre ?
Non, mes chers collègues, la raison en est hélas plus simple. Meilleur élève de Sarkozy, il entend exécuter avec zèle ses oukases et réduire de manière importante le nombre de postes d'enseignants: supprimer l'année de formation pratique, en IUFM, des futurs enseignants qui assuraient de 4 à 6 heures d'enseignement, en pleine responsabilité, dans une classe, dans toutes les académies de France, c'est gagner au total des centaines d'emplois et, cerise sur le gâteau, il n'y aura plus de fonctionnaires stagiaires à payer, donc gain d'une année de rémunération.
Voilà la raison de cette réforme et qu'importe les difficultés que rencontreront les futurs enseignants sur le terrain, les drames que cela provoquera, il se trouvera toujours un établissement privilégié pour accueillir les enfants de bons milieux, il n'y a donc pas de soucis à se faire !
La provocation et l'arrogance du Président de la République à l'égard des personnels de l'enseignement supérieur, l'entêtement des deux Ministres Pécresse et Darcos à refuser de négocier sérieusement les évolutions nécessaires et à maintenir les suppressions d'emplois, le refus d'honorer les engagements pris en matière budgétaire ont conduit à une situation de blocage.
Le choix dans un premier temps d'une recherche du pourrissement de la situation, puis le recul sur un certain nombre de points en voulant cependant montrer que l'on ne lâche rien, puis la négociation avec quelques partenaires peu représentatifs des personnels du supérieur, d'une nouvelle rédaction du décret et les cris de victoire de la Ministre accompagnant sa présentation (alors même que, de l'aveu du Gouvernement, le texte sera peu différent de celui qui a été mis sur la table), pour s'apercevoir très vite que la communauté ne s'en satisfait pas, la négation de la nécessité d'une réelle et sérieuse formation professionnelle des enseignants du primaire et du secondaire, encore que sur ce point également le repli (bien sûr sans perdre la face) semble s'engager, il faut que cesse cette cacophonie. Réformer l'université suppose un projet concerté et ne peut être simplement motivé par la recherche d'une économie de moyens.
Engager dès à présent un dialogue avec tous les acteurs de l'université s'impose, sans oublier les syndicats majoritaires et les divers collectifs, pour développer notre recherche, améliorer les capacités d'accueil des étudiants et attirer les jeunes vers les métiers de la recherche et de l'enseignement supérieur. Cesser de segmenter les revendications et approcher l'université dans sa globalité nous paraît la seule voie pour obtenir des solutions partagées qui préparent réellement un avenir pour notre jeunesse et pour notre pays.
La crise économique actuelle démontre combien la formation, la recherche, l'innovation, le transfert de technologie vers les entreprises sont essentiels pour le redémarrage de notre économie et qu'il s'agit là d'investissements à long terme et d'avenir qui ne peuvent être différés. Il faut que le Gouvernement accepte de consentir ces investissements dès maintenant et trouve les moyens de le faire, en supprimant, par exemple, le bouclier fiscal…
Monsieur le Président, les élus socialistes se félicitent, en balance du propos que je viens de développer, que la Région Haute-Normandie investisse fortement, et bien au-delà de ses obligations, dans ce triptyque recherche, formation et emploi, dont vous soulignez souvent l'importance capitale et les vertus. Dans chacun de ces secteurs, des dynamiques ont été impulsées, que nous continuerons d'alimenter, en appelant de nos vœux que l'université, la recherche et l'innovation, domaines d'intervention régalien redeviennent des priorités du Gouvernement, dans les actes. Comme ils le sont pour nous.
Je vous remercie de votre attention.
Estelle GRELIER
Deuxième Vice-présidente de la Région Haute Normandie en charge de l'enseignement.
Première Adjointe au Maire de Fécamp
Présidente de la Communauté de Communes de Fécamp.
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